FESTIVAL DU NOUVEAU CINÉMA 2019
L.A. Tea Time et Color Out of Space
Le rose de l’horizon, le rose de l’espace
Color Out of Space
En cette 48e édition du Festival du nouveau cinéma, nous avons voulu apporter un angle différent à notre couverture avec la venue d’un collaborateur invité. Réalisateur, scénariste et monteur de profession, Kevin T. Landry saura poser un regard d’initié sur les oeuvres qui y sont présentées. Avec sa passion du cinéma et son expertise dans l’industrie, teinté par sa sélection personnelle, Kevin nous partagera sa vision sur des films qui l’ont marqué cette année au Festival.
- Un texte de Kevin T. Landry, collaborateur -
Mon histoire d'amour avec le Festival du nouveau cinéma débute en 2005. Fraîchement admis au baccalauréat en Cinéma de l'UQÀM, je gagne une passe pour le festival lors de la soirée de clôture de notre semaine d'initiation. Aussitôt la session débutée, aussitôt je sèche mes cours pour passer mes journées dans les salles sombres du regretté Ex Centris. Au total, ce sont 42 films que je consommerai pendant ces deux semaines. Je prend rapidement la piqûre pour les films plus étranges, éclectiques ou choquants (l'anachronique Yaji and Kita, Midnight Pilgrims de Kankuro Kudo et le bouleversant Caché de Michael Haneke demeurent mes deux souvenirs les plus vifs de ce marathon). Ce n'est donc pas un hasard si j'ai choisi L.A. Tea Time (Québec, Canada) de Sophie Bédard Marcotte et Color Out of Space (Portugal, États-Unis) de Richard Stanley comme premiers titres à couvrir pour cette 48e édition du FNC. Deux œuvres aux tons diamétralement opposés, mais qui se démarquent par un traitement narratif des plus éclatés et, étrangement, un penchant commun pour l'utilisation surnaturelle de la couleur rose.
Section : Compétition nationale
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Long-métrage, documentaire
Québec, Canada | 85 minutes | 2019
Version originale française, anglaise
Réalisé par Sophie Bédard Marcotte
Fiche FNC: ICI
L.A. Tea Time - LE ROSE DE L'HORIZON
Sophie Bédard Marcotte est une cinéaste et artiste multidisciplinaire québécoise qui gagne sa vie comme traductrice de critiques de restaurants. Miranda July est une cinéaste et artiste multidisciplinaire américaine qui gagnait autrefois sa vie comme simili-influenceure pour une agence de publicité. Sophie veut prendre le thé avec Miranda à Los Angeles. Avant même d'avoir une réponse de cette dernière, elle part sur la mythique route 66 pour rejoindre son idole. Cette mince intrigue aurait pu mener à un film des plus superficiels entre les mains d'un autre réalisateur, mais Bédard Marcotte réussit à nous offrir un très sympathique et méditatif road movie explorant ses propres insécurités à travers une Amérique fantôme et aride.
Tout comme pour Claire l'Hiver, le premier long-métrage de la réalisatrice, c'est son humour discret qui fait d'abord le charme de L.A. Tea Time. La grande complicité que partagent Bédard Marcotte et sa directrice de la photographie, Isabelle Stachtchenko, représente la principale source d'humour du voyage. On ne se lasse pas de leurs conversations loufoques derrière et parfois devant la caméra, ni de leurs interactions avec des personnages plus grands que nature (notons spécifiquement ce gentleman Oklahomain tentant de charmer gauchement nos deux protagonistes, moment fort du film). D'ailleurs, saluons au passage le travail de Stachtchenko, sa caméra faisant grande justice à la beauté aride de la route 66. Toutefois, c'est par une savante utilisation de réalisme magique que L.A. Tea Time se distingue vraiment. D'abord très subtiles - un petit clin d'oeil d'épouvantail ici, le regard perturbant d'un homme de fer là - les références aux aventures de Dorothée deviennent de plus en plus omniprésentes pour accompagner la quête de la réalisatrice. Puis, c'est à travers une lueur rose mystérieuse dans les cieux que Bédard Marcotte nous offre la plus belle scène du film (un must pour les fans de Chantale Ackerman). L.A. Tea Time: un ravissant autoportrait documentaire rappelant, sans grande surprise, le charme et la douceur des œuvres de Miranda July.
Section: Temps O
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Long-métrage, fiction
Portugal, États-Unis | 111 minutes | 2019
Version originale anglaise
Réalisé par Richard Stanley
Fiche FNC: ICI
Color Out of Space - LE ROSE DE L'ESPACE
D'un film charmant par sa douceur, on passe maintenant à un autre qui déstabilise par sa violence: Color Out of Space du légendaire réalisateur Richard Stanley. On connaît bien l'histoire de monsieur Stanley: licencié dès les premiers jours de tournage de l'infâme The Island of Doctor Moreau en 1996 (le documentaire Lost Soul est un must si vous voulez connaître la turbulente histoire de ce désastre), l'auteur du film culte Hardware occupe depuis son temps à la réalisation de documentaires et de courts-métrages de fiction. N'importe quel réalisateur ayant vécu une expérience aussi horrifiante aurait sûrement choisi un projet sans risque pour son retour au format long. Stanley, lui, a décidé d'adapter l’une des nouvelles les plus aimées de l'auteur culte H.P. Lovecraft, un défi plutôt casse-cou qu'il relève avec brio.
Bien que l'histoire débute en cochant tous les clichés du genre (Fille rebelle aux tendances sataniques, check! Introduction rapide d'un potentiel amoureux/sauveur, check! Maison isolée au fond de nul part, check! Un enfant hypersensible à son environnement, check!), Stanley ne perd pas de temps à introduire un univers perturbant autant par sa grande beauté que son horrible laideur. Suite à la chute d'une comète dans sa cour, la famille Gardner est victime d'une série d'évènements étranges semblant être liés à la contamination de la nappe phréatique de leur terrain. Via ce parasite venu de l'espace, simplement représenté par une lueur rose (d'où le titre du film), Stanley nous offre des tableaux hallucinogènes captivants par leur menaçante élégance, mais aussi des moments d'une laideur atroce quand ces mutations commencent à affecter les animaux de la fermette et les membres de la famille (bravo d'ailleurs à l'équipe maquillage qui s'en est clairement donnée à cœur joie). Malgré de nombreuses incongruités au niveau du scénario (plusieurs histoires parallèles, comme la campagne de réélection de la mairesse ou la construction d'un barrage, sont plutôt inutiles ou peu développées), on ne peut nier le charme ultra-divertissant du chaos et de la folie causés par cette couleur envahissante. Un Nicolas Cage en mode surjeu (comme on l'a vu l'an dernier dans Mom and Dad) vole à plusieurs reprise la vedette, mais chaque membre de la famille Gardner tire malgré tout son épingle du jeu. Color Out of Space est une expérience cinématographique à voir absolument sur grand écran, pour les fans de films d'horreur au ton absurde très assumé.